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Le Point – Descroix-Vernier, le corsaire du Web
Publié le 26-11-2009
Culotté. Derrière le scandale de la distribution de billets de banque, un patron rock’n’roll.
Plus jeune, il ambitionnait de porter la soutane pour distribuer la bonne parole et les osties le dimanche. Finalement, c’est en promettant de distribuer 40 000 euros, un samedi, que Jean-Baptiste Descroix-Vernier (JBDV), 39 ans, le fondateur de Rentabiliweb, s’est offert le plus court chemin vers l’enfer. De cet enfer pavé d’intentions plus ou moins bonnes. Le coup de pub a tourné aux coups de poing. Sa sous-filiale, mailorama.fr (un site qui rémunère les achats sur Internet), est assignée en justice par Brice Hortefeux. Le ministre de l’Intérieur entend obtenir réparation des dégâts. Quant au salarié à l’origine de l’initiative, Stéphane Boukris, il se terre quelque part dans la capitale pour échapper aux nombreuses menaces de mort dont il est l’objet… Un fiasco complet, presque risible de perfection !
« Je suis effondré. Aucune opération commerciale ne mérite que les gens soient mis en danger. Plus jamais une telle opération ne sera montée par une société de mon groupe », promet JBDV, jeune patron aux allures de héros de science-fiction, mi-« Matrix », mi-« Star Wars ». « J’avais donné mon feu vert, ajoute-t-il, car, à New York, en février, la même opération s’était déroulée sans provoquer d’incident. » Une différence, tout de même : dans la métropole américaine, nul ne connaissait l’heure exacte du « don de biftons ». A Paris, la préfecture, tout en réprouvant l’opération, en avait divulgué l’heure, la veille, via une dépêche de l’AFP. Du coup, les voyous attendaient la diligence… machette à la main.
Il serait aisé, après un tel revers, de peindre Jean-Baptiste Descroix-Vernier en aigrefin grossier, assoiffé de cet argent facile sorti d’on ne sait quelle poche. Drôle de bonhomme, bien plus fin et complexe qu’il n’y paraît. Derrière ce look gothique assumé, l’homme masque une vie de reclus, sans enfant, entre deux chats, sur une péniche amarrée dans le port d’Amsterdam. « J’ai maintenu ma fiscalisation en France », souligne-t-il. Pas celle de sa société, qui, elle, est soumise au droit belge, plus avantageux. Dans son CV, l’année 2000 reste en blanc. Il disparaît un an. Et refuse d’en parler.
Pas de téléviseur sur son embarcation. Le soir venu, cet écolo sans voiture, électeur de José Bové, qui possède un lac et des forêts en France, se laisse absorber dans des lectures sur l’anthropologie. Fasciné par « le passage du cru au cuit », il estime que la mort de Lévi-Strauss est « l’événement du mois ». Sa vocation religieuse a fait long feu, certes, mais on retiendra qu’en plus de ses diplômes de droit des affaires obtenus à Lyon-III il s’astreignait, en auditeur libre, à suivre des cours d’exégèses rabbiniques à l’Université catholique… « Je continue à croire en Dieu, en un Dieu quel qu’il soit », glisse-t-il.
Drôle de contraste entre son univers intérieur tout de spiritualité et le caractère, disons, très profane de ses activités professionnelles. Rentabiliweb, dont il contrôle 57,4 % des parts, a tenu la promesse de son nom : transformer le Net en bénéfices nets (6,6 millions d’euros pour 56 millions de chiffre d’affaires en 2008). Pas si mal, quand tant de groupes industriels continuent d’y laisser des plumes…
Son secret ? Segmenter le « marché de la fesse ». Rentabiliweb a trusté le créneau des sites communautaires. L’aspiration des gays et lesbiennes, des libertins mais aussi des seniors à trouver le partenaire idéal est à l’origine d’un juteux business. Autant de niches lucratives abandonnées par Meetic.
Pour arriver à son but, Descroix-Vernier a opéré un mouvement stratégique en l’espace de quelques mois. Le 15 novembre 2007, il acquiert la société Montorgueil, une galaxie de plus de 280 sites pornographiques. Vade retro, satanas ! Un patron du CAC se serait pincé le nez. Pas lui. Pas ce rasta à dreadlocks (le mot viendrait de la Bible et signifie « celui qui craint le Seigneur »), grandi entre une mère institutrice en maternelle et un père apiculteur. Dès le 3 mars 2008, il les revend presque tous et fait son miel des sites de rencontres et de quelques sites de peep show en webcam pour homosexuels. « Mon modèle, c’est Canal + : une partie gratuite, une partie payante, et un bouquet global de sites de divertissement », explique-t-il.
Internet égale plaisir. Ses deux studios de jeux, à Novossibirsk et à Irkoutsk, confectionnent un site de jeux de société gratuit : Toox. Grosse réussite ! Aujourd’hui, Toox est classé dans les 100 plus gros sites de jeux de la planète. Là, encore, on ne force pas la main aux internautes : les joueurs qui le souhaitent peuvent donner 6 euros par mois afin d’améliorer les jeux proposés. Toox a converti au paiement… 12 % de ses joueurs. Qui a dit que personne ne voulait payer sur Internet ?
Pas étonnant que ce mousquetaire du Web ait attiré de fines lames : Bernard Arnault, la plus grande fortune de France, a pris une participation de 6,3 % dans sa société. Stéphane Courbit, un enfant de la télé couvert d’or, est monté à 11 %. « Toute la question est de savoir si ce jeune patron sera capable de passer à la vitesse supérieure », confie ce dernier. JBDV s’est également choisi deux illustres administrateurs : Jean-Marie Messier, dont il utilise le réseau dans le milieu des affaires, et Alain Madelin, « pour sa grande connaissance du commerce international et ses nombreux contacts », dit-il. Au sein du conseil, toutes les décisions sont prises à l’unanimité.
Chaque année, JBDV fait voter des actions gratuites afin de les redistribuer aussitôt à ses salariés les plus méritants. Leur nombre est passé à 150. Entre eux, ils se nomment les « Ninjas ». A l’origine, l’expression entière – « white ninja hacker » – désigne les « bons pirates » du Net, ceux qui passent partout sans casser les codes… Pourtant, lui, le chef des Ninjas, les codes, ne les a-t-il pas brisés ?
