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La revanche des dirigeants entrepreneurs
Publié le 13-12-2011
13/12 | 07:00 | Muriel Jasor Édition du 13/12/2011 – Compétences
L’incertitude n’a jamais été aussi grande quant aux capacités des leaders à tenir le cap par temps de crise. Diriger est en effet bien davantage que manager. Aux dirigeants gestionnaires des vingt dernières années succèdent des profils entrepreneurs.
Rapidité d’exécution, grande capacité de travail, esprit de synthèse impressionnant, sens aigu et respect du client, les qualificatifs élogieux à propos du nouveau patron exécutif de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé, se multiplient. Mais ils n’empêchent toutefois pas cette interrogation : autant de qualités seront-elles suffisantes en cette période de grosses secousses économiques ? L’incertitude n’a jamais été aussi grande quant aux capacités des leaders à tenir le cap par temps de crise. Diriger est bien davantage que manager, chacun le sait. Pis, loin d’être l’essentiel, prendre la bonne décision et poser la stratégie ad hoc ne constitueraient plus que le « début d’une grande aventure économique, organisationnelle et humaine », selon Paule Boffa-Comby, coach et consultante.
« C’est la fin de ces patrons simplement gestionnaires qui passaient -sans bilan brillant ou décisif -d’une entreprise à une autre et savaient donner le change, dopés qu’ils étaient à l’organisation matricielle, au reporting et à la financiarisation à outrance », pronostique un observateur du marché, admiratif des patrons de la trempe des Pébereau, Bébéar, Riboud et autres Descarpentries.
Les dirigeants qui ont le plus la cote sont à présent ceux capables de concilier une relative jeunesse et maturité, de serrer une partie des coûts tout en sachant motiver les équipes du fait de leur charisme et forte personnalité ou encore de proposer des perspectives à long terme tout en sachant jongler avec le court terme et l’urgence. « Avant de pouvoir juger du bien-fondé de ses arbitrages et du cap donné, le dirigeant devra expliquer, communiquer, entraîner, galvaniser, catalyser les énergies individuelles et collectives. […] Il devra dégager ce quelque chose qui fait la différence et donne confiance à l’ensemble des parties prenantes [actionnaires, fournisseurs, clients, salariés, etc., NDLR] », renchérit Paule Boffa-Comby. Résultat : si elles continuent de rechercher des perles rares, les entreprises -grande nouveauté -tendent désormais à privilégier les profils opérationnels et très flexibles aux CV 100 % parfaits. Mieux, elles tolèrent même un certain degré de droit à l’erreur. « Si le futur dirigeant apparaît rapidement opérationnel, a un profil international et accepte une intervention en mode mission, le conseil d’administration l’accepte et peu importe qu’il ait deux références négatives sur cinq ! », note un chasseur de têtes en soulignant qu’un tel cas de figure eût été inimaginable il y a quatre ou cinq ans.
Génération nouvelle
Tout a tellement changé ces dernières années : les modes de consommation et d’échanges, les canaux de distribution, les contraintes de la concurrence et du marché, l’espace social, la relation au travail, etc. « Les dirigeants ont toujours été confrontés au changement mais la nouvelle donne, c’est le rythme du changement, son accélération », insiste Henry Kisiel, associé au sein du cabinet de chasse de têtes Leaders Trust International. Conséquence : nombre de patrons se sont vu pousser vers la sortie par leur conseil d’administration. « Ils ne sont pas mauvais mais les changements à opérer dans l’entreprise sont tellement importants que les conseils préfèrent porter leur choix vers des profils nouveaux -donc dépourvus du poids de l’histoire -pour accélérer le mouvement », poursuit Henry Kisiel. « A noter que ce sont tout particulièrement l’Etat et les fonds d’investissement qui créent le turnover des dirigeants », remarque Diane Segalen, fondatrice du cabinet de chasse de têtes Segalen & Associés. Place donc à une génération nouvelle, flexible et capable de transgresser les credos préalablement en vigueur. A des profils de patrons comme celui d’Isabelle Parize, par exemple, chez Nocibé, aussi à l’aise en finance qu’en marketing, chez Procter & Gamble et Henkel que chez Canal+ ou dans le milieu des jeux en ligne. Ou encore à des Jean-Pascal Tricoire (Schneider Electric) mais aussi, plus atypiques, des Jean-Baptiste Descroix-Vernier (Rentabiliweb), Hugues Pietrini (Orange France), etc.
Parallèlement à la montée en puissance de profils rajeunis, adaptables, internationaux et dotés d’expériences de terrain, on assiste au grand retour des seniors en entreprise. Des profils idéaux en période de crise, qui interviennent « en mode mission » -donc pour une durée limitée -pour réorienter une stratégie, changer un « business model » ou encore lancer une nouvelle activité. C’est par exemple le cas de Jean-Martin Folz, ancien président de l’Afep et de Peugeot SA, chez Eutelsat.
Des règles de bonne gouvernance accompagnent ces changements en France, où les comités de nomination sont plus actifs depuis quelques années. Autre nouveauté : les conseils d’administration, qui s’ouvrent à de nouveaux membres (plus jeunes, plus internationaux, féminins), se focalisent désormais moins sur les compétences que sur des profils qui vont harmonieusement s’inscrire dans le projet de l’entreprise. Ils font de plus en plus valider leurs choix internes de dirigeants par des consultants extérieurs. Quant aux recherches extérieures de sang neuf, elles passent à quelque 70 % par des cabinets de chasse de têtes.
MURIEL JASOR, Les Echos
Les qualités des leaders d’aujourd’hui et de demain
Les basiques
• une rapidité d’exécution
• de grandes capacités de travail
• un fort esprit de synthèse
• une capacité à comprendre des réalités complexes
• un sens aigu et respectueux du client
Les plus
• une ou plusieurs expériences internationales
• une capacité à vite capitaliser sur des expériences et des apprentissages
• une fine connaissance du terrain
• une parfaite maîtrise de la communication interne et externe
• le souci de diffuser une culture de responsabilisation plutôt qu’une logique d’obéissance
• un sens de l’anticipation
• une grande capacité d’écoute
Le nec plus ultra
• un état d’esprit d’entrepreneur
• une fine perception des pouvoirs informels au sein des organigrammes officiels
• un sens de l’exemplarité comme éthique personnelle et source de performance économique
• un fort engagement
• le courage de remettre en cause des postulats jugés préalablement indéboulonnables
• de la modestie et de l’humilité
• une personnalité suffisamment forte pour influer les choses et donner aux troupes le désir et l’envie de travailler ensemble
• la reconnaissance et l’acceptation d’un droit à l’erreur (suivi par une phase d’apprentissage)
Source : en partie d’après l’ouvrage « Walk the talk » de Paule Boffa-Comby, aux éditions du Cherche-Midi, 263 pages, 19,80 euros (sur la base d’interviews de 9 patrons : Jean-Paul Bailly, Daniel Bernard, Paul Bulcke, Philippe Crouzet, Clara Gaymard, Xavier Huillard, François Pérol, Stéphane Richard, Jean-Pascal Tricoire).